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Un lobby électrique derrière une association «écolo»

Une association qui se pique d’être écologique ou pour le développement durable, et qui en réalité n’est que le faux nez d’intérêts industriels. Un grand classique dénoncé dans un article publié le 31 mai 2012 par le site Mediapart et signé Jade Lindgaard


Des rencontres consacrées aux énergies et aux bâtiments sous l’angle des « nouveaux enjeux citoyens ». Une association organisatrice qui s’intitule « Équilibre des énergies ». Un discours qui prône la réduction des émissions de gaz à effet de serre. À première vue, les rencontres organisées à Lyon, vendredi 1er juin, doivent renforcer la culture écologique du BTP et du logement, enjeu majeur de la lutte contre le changement climatique.

Pourtant, à y regarder de plus près, apparaissent des signaux contradictoires. Les prises de position, la composition et l’histoire de la toute jeune association, créée il y a un an, apparaissent au diapason des demandes des industriels de l’électricité, très inquiets des premiers effets de la nouvelle régulation thermique 2012 issue du Grenelle de l’environnement. Selon de premières estimations, la part du chauffage électrique dans les nouveaux logements se met en effet à baisser, en rupture avec la préférence historique des constructeurs pour les électrons.

Dans ce contexte très agité – des milliards d’euros de chiffres d’affaires sont en jeu –, une drôle d’association a donc vu le jour. Créée en 2011, l’association Équilibre des énergies regroupe des industriels : EDF, Atlantic (chauffage électrique, air conditionné…), Muller (chauffage électrique, pompes à chaleur…), Danfoss (chauffage, réfrigération), Hora (chauffage par plancher et plafond rayonnant), auxquels s’ajoutent des associations professionnelles (association française pour les pompes à chaleur, groupement interprofessionnel des fabricants d’appareils ménagers, fédération des grossistes en matériel électrique) et la banque Neuflize OBC. Plus récemment, les ont rejoints des associations de consommateurs comme Familles de France et l’association Léo Lagrange (éducation populaire et économie sociale), ainsi que l’Union sociale pour l’habitat, qui représente les organismes HLM. Équilibre des énergies est présidée par Jean Bergougnoux, ancien directeur-général d’EDF (de 1987 à 1994), et membre du comité d’analyse stratégique.

C’est donc cette structure qui organise vendredi 1er juin au centre des congrès, à Lyon, des rencontres autour du bâtiment (voir ici). Y participent des responsables politiques de premier plan : l’ancienne ministre de l’écologie Chantal Jouanno, la secrétaire nationale du PS à l’environnement Laurence Rossignol, la vice-présidente de la région Rhône-Alpes au logement Marie-Odile Novelli. Dans le monde de l’efficacité énergétique et de la rénovation thermique, chantier prioritaire de la transition écologique annoncée pendant sa campagne par François Hollande, c’est un petit événement.

« Lobbying commando »

La lecture des divers textes mis en ligne sur le site de l’association réserve pourtant des surprises. D’abord, ils ne sont pas avares de critique contre la régulation thermique 2012 (dite « RT 2012 »). Issue du Grenelle de l’environnement, ce nouveau cadre réglementaire veut limiter les consommations énergétiques des bâtiments neufs au seuil de 50 Kwh par mètre carré et par an – ce fut l’une des grandes batailles du vote de la loi Grenelle.

Principales critiques d’Équilibre des énergies : elle ne prend pas en compte les émissions de CO2 et elle se calcule en usage primaire (qui comptabilise l’énergie à l’état « naturel », avant transformation) et non en usage final (la quantité effectivement consommée par l’utilisateur). Cette distinction est au cœur de la controverse française sur l’énergie car le lobby du nucléaire ne veut pas entendre parler de décompte en énergie primaire, défavorable à l’atome, dont seulement 30 % de la puissance initiale peut être utilisée, compte-tenu de son faible rendement.

« La consommation d’énergie primaire est un critère insuffisant pour apprécier l’intérêt d’une solution », insiste l’association, graphique à l’appui. C’est le même argument que met aujourd’hui en avant la France pour tenter de rogner sur la directive européenne portant sur l’efficacité énergétique (voir ici notre article sur le sujet). Enfin, alors que la réduction de la consommation est au cœur de tous les objectifs de lutte contre le changement climatique depuis presque dix ans, l’association préfère mettre en avant l’innovation, le « meilleur moyen de sortir de l’impasse ». En bref, en grattant un peu derrière l’habillage écologiste, on tombe très vite sur des arguments pro-industriels et pro-nucléaires.

Et ce n’est pas fini. Car Mediapart s’est procuré un document interne de l’association, datant de l’année dernière. Intitulé « plan d’action détaillé », il décrit les stratégies de lobbying de l’association pour l’année 2011-2012 afin « d’investir progressivement le champ médiatique » (à lire ci-dessous).

Première étape : « une action de lobbying commando », avec pour objectif principal, la « neutralisation et/ou la modulation de certaines dispositions de la RT 2012 ». Puis, à plus long terme, « peser sur l’élaboration de la RT 2020 ». Les « cibles » des « rendez-vous one to one prioritaires » sont énumérées : les ministres et leurs cabinets. Pour parvenir à ses fins, l’association espère s’imposer comme « acteur de référence » vis-à-vis des pouvoirs publics concernant la RT 2012, la 2020 et « tous les sujets relatifs au consommateur vis-à-vis du logement et des énergies/environnement ». Et prévoit de créer une « task force 2,58 ». Sibyllin pour les profanes, ce chiffre fut l’objet d’âpres échanges en 2011. Il désigne le coefficient choisi par l’arrêté de la RT 2012 pour transformer l’énergie finale en énergie primaire concernant l’électricité. Pour toutes les autres énergies, le coefficient n’est que de 1, beaucoup moins pénalisant, donc.

« Mauve, symbole de sagesse, de réflexion »

Pour faire passer la pilule de ce vocabulaire très guerrier, un élégant habillage thématique est proposé, sous la forme de « chevaux de bataille », sur le mix énergétique optimal, la mobilité, les consommateurs-citoyens, et la politique du logement. Ces deux derniers thèmes correspondent exactement à la réunion du 1er juin. 

Aucun détail ne semble devoir être négligé, pas même le code couleur de l’organisation : « des couleurs empruntées au Grenelle de l’environnement mais adoucies, en demi-teinte, pour une vision plus sage (mauve, symbole de sagesse, de réflexion) et plus humaine (orange, symbole du bonheur, du confort, du bien-être). »

« Nous ne sommes pas le faux nez d’EDF ! » répond Jean Bergougnoux, président d’Équilibre des énergies, « nous défendons l’électricité mais pas EDF et nous ne sommes pas des lobbyistes ». Son association est, selon lui, dotée d’un budget de 800 000 euros, auquel la contribution d’EDF est “limitée” à 15 %, soit environ 120 000 euros. Une somme non négligeable dans le paysage précarisé du monde associatif depuis la fonte des subventions. 

Au départ, l’association a pu apparaître comme « une tentative de fabricants de matériels électrique qui dénonçaient ce qu’ils ressentaient comme une injustice », ajoute-t-il. Mais il assure que le discours de son organisation a changé et que « nous nous recentrons sur les utilisateurs des bâtiments. Mon seul critère, c’est l’intérêt des consommateurs et la vérité des prix ». Quant à la RT 2012, « nous n’y sommes pas opposés », affirme-t-il, « c’est une très bonne chose d’améliorer l’isolation des bâtiments ». Tout en reconnaissant « avoir des interrogations par rapport au mode de calcul et à la reconnaissance des mérites des différentes énergies en présence ». Bref, en apparence plus si opposée à son ennemi d’hier, l’association y reste quand même bien réticente. 

Au-delà de l’espace d’influence de cette association, la bataille contre la régulation thermique 2012 se poursuit. Déposé l’année dernière par le groupement interprofessionnel de fabricants d’appareils d’équipement ménager (GIFAM), un recours anti-RT 2012 est toujours en cours d’instruction par le Conseil d’État. Jade Lindgaard

Auteur : EB1962

Militant EELV, élu municipal à Rosny-sous-Bois

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