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Le risque d’une « perte des repères démocratiques »

Pour Jean-Pierre Dubois, président d’honneur de la Ligue des droits de l’Homme, l’état d’urgence devrait être contrôlé par le Parlement, interview publiée dans Le Monde du jeudi 19 novembre 2015.

Alors que le conseil des mi­nistres du mer­credi 18  no­vembre de­vait exa­mi­ner le pro­jet de loi pro­lon­geant pour trois mois l’état d’ur­gence dé­crété après les at­ten­tats du 13  no­vembre, Jean-Pierre Du­bois, pré­sident d’hon­neur de la Ligue des droits de l’Homme, s’étonne d’un tel « chèque en blanc ». Pro­fes­seur de droit à l’uni­ver­sité Paris XI-Sud, il ne conteste pas le re­cours à ces me­sures d’ex­cep­tion, mais plaide pour un contrôle dé­mo­cra­tique et s’alarme de la sur­en­chère sé­cu­ri­taire.

Le re­cours à l’état d’ur­gence est-il jus­ti­fié ?
Sur le prin­cipe, la ré­ponse est oui. On au­rait du mal à nier le ca­rac­tère ex­cep­tion­nel de la si­tua­tion. La ques­tion est com­ment on uti­lise cette pos­si­bi­lité et pour com­bien de temps (voir sur ce point, la réaction de Noël Mamère). Nous com­pre­nons que l’on prenne des me­sures ex­cep­tion­nelles compte tenu de ce qu’il s’est passé le 13  no­vembre. Mais la tra­di­tion ré­pu­bli­caine est la pro­por­tion­na­lité et le contrôle. Les me­sures doivent être pro­por­tion­nelles à la si­tua­tion. Ce qui me dé­range est que le pré­sident de la Ré­pu­blique a d’em­blée pré­venu que le gou­ver­ne­ment de­man­dera une pro­lon­ga­tion de trois mois de l’état d’ur­gence. Je ne com­prends pas que la durée soit aussi longue, même au re­gard de la gra­vité de la si­tua­tion. Pour­quoi don­ne­rait-on un blanc-seing aussi long ?

Mais la me­nace ne va pas dis­pa­raître en quelques se­maines…
Le gou­ver­ne­ment au­rait très bien pu de­man­der une pro­lon­ga­tion d’un mois et re­ve­nir tous les mois sol­li­ci­ter un re­nou­vel­le­ment de­vant le Par­le­ment. Cela au­rait per­mis un contrôle dé­mo­cra­tique et ci­toyen des me­sures mises en œuvre. Un tel chèque en blanc est tout à fait symp­to­ma­tique de notre concep­tion mo­nar­chique des ins­ti­tu­tions. Ce se­rait to­ta­le­ment im­pen­sable dans les autres dé­mo­cra­ties eu­ro­péennes. Au nom de quoi se prive-t-on du contrôle par­le­men­taire ? C’est étrange !

Quels sont les risques ?
Le cli­mat po­li­tique est in­quié­tant. J’ai en­tendu le pre­mier mi­nistre an­non­cer que par me­sure de sé­cu­rité il in­ter­di­rait toute ma­ni­fes­ta­tion lors de la réunion de la COP21 à Paris. In­ter­dire une ex­pres­sion ci­toyenne au nom de la sé­cu­rité, c’est grave. Et le jus­ti­fier en di­sant que les ras­sem­ble­ments consti­tuent des cibles est aber­rant. Tout est une cible : le métro, les mu­sées, les mi­nis­tères… On ne va pas ar­rê­ter la Na­tion ! Uti­li­ser une si­tua­tion dra­ma­tique pour mu­se­ler une ex­pres­sion ci­toyenne est une voie dan­ge­reuse. Et on va le faire de­vant les ca­mé­ras du monde en­tier. Quand j’en­tends Xa­vier Ber­trand de­man­der de faire un Guan­ta­namo fran­çais pour 10 000 per­sonnes, on est bien dans un cli­mat de sur­en­chère sé­cu­ri­taire dan­ge­reux. C’est une si­tua­tion où nous avons tous peur. Mais, le rôle des di­ri­geants dans une dé­mo­cra­tie est de ne pas aug­men­ter la peur. L’opi­nion est tel­le­ment trau­ma­ti­sée qu’elle pour­rait ac­cep­ter beau­coup de choses sans ré­flé­chir. M.  Ber­trand fait exac­te­ment ce que Daech at­tend de lui. Plus on em­prunte cette voie, plus on fa­ci­lite le re­cru­te­ment de fu­turs ter­ro­ristes.

Que pen­sez-vous des per­qui­si­tions ex­tra­ju­di­ciaires que per­met l’état d’ur­gence ?
Si on pro­fite de la si­tua­tion pour faire croire qu’on peut se pas­ser du contrôle de la jus­tice, cela re­vient à uti­li­ser la si­tua­tion pour faire ré­gres­ser les li­ber­tés. Le nombre de fois où on a uti­lisé un pré­texte pour prendre des me­sures soi-di­sant ex­cep­tion­nelles mais qu’on a gé­né­ra­li­sées en­suite est im­por­tant. On a beau­coup ré­gressé au fil des ans. Le fossé censé sé­pa­rer ce que l’état d’ur­gence per­met de faire de ce que le droit per­met en temps nor­mal s’est consi­dé­ra­ble­ment res­serré. Les gou­ver­ne­ments ne semblent même plus au cou­rant de toutes les me­sures qu’ils ont déjà à leur dis­po­si­tion, tel­le­ment on les em­pile. Cela est ar­rivé à plu­sieurs re­prises d’en­tendre un mi­nistre an­non­cer une ré­forme pour de nou­velles me­sures… qui existent déjà.

Que pro­po­sez-vous ?
Quelle que soit la me­nace, on doit res­ter dans la pro­por­tion­na­lité. Au­jour­d’hui, la me­nace est forte, donc on peut aller loin. Mais il s’agit de faire rien que ce qui est né­ces­saire. La loi ren­sei­gne­ment est ainsi pro­ba­ble­ment in­ef­fi­cace alors qu’elle contient des dis­po­si­tions dan­ge­reuses pour les li­ber­tés. Nous sommes dans un état de confu­sion gra­vis­sime, avec une perte des re­pères dé­mo­cra­tiques. Et cela fait quinze ans que cela dure…

Pro­pos re­cueillis par, Jean-Bap­tiste Jac­quin

Auteur : EB1962

Militant EELV, élu municipal à Rosny-sous-Bois

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